Les compléments du mag - L'interview de Mme Liu – G.TAO Printemps 2005

 

Nous vous avions promis la version intégrale de l’interview avec Mme Liu Ya Fei, directrice de l’hôpital de rétablissemement de Beidaihe en Chine. La voici. Vous y découvrirez toute la profondeur et la qualité rare de Mme Liu, qui développe ici sa vision de l’enseignement, de la transmission, de la pratique et de sa philosophie. Un authentique enseignement… en toute simplicité.
Merci encore aux « Temps du corps » et à Ke Wen pour la traduction.

GTao : En France, la pratique du Qi Gong est souvent considérée comme une gymnastique douce, voire une discipline qui s’adresse aux personnes âgées, or vous nous avez montré des mouvements de Qi Gong dont les postures étaient très basses et enracinées.

Mme Liu : Pour que le Qi circule de manière fluide dans tout le corps, que tous les méridiens soient irrigués, c’est la conscience et l’esprit qui dirigent l’énergie. Il faut chercher à structurer et à purifier le corps en renforçant les muscles et les tendons. C’est seulement après cette phase importante qu’il est possible d’activer l’énergie, de commencer à lui donner une intention pour la diriger et avoir une efficacité thérapeutique. A un troisième niveau, le pratiquant doit sentir où est l’énergie, l’esprit, où il sent une déficience pour renforcer, une plénitude pour disperser, et ainsi réussir à harmoniser et réguler l’ensemble de l’être.
J’ai pu remarquer que certaines écoles étaient davantage attachées à réguler le souffle : TIAO XI, ou cultivaient leur conscience : TIAO SHEN en ramenant le corps : TIAO SHENG à une moindre importance. Or au premier niveau de la pratique, il est essentiel de réguler harmonieusement le corps, le souffle et l’esprit en accordant une place particulière à l’entraînement du corps qui se trouve à la base de toute la pratique.

GTao : Et le développement des qualités corporelles passe par le travail des muscles et des tendons ?

Mme Liu : Il faut ouvrir le corps et renforcer les muscles pour que l’énergie circule : relâcher le bassin, cultiver la force d’élasticité, etc. Certaines personnes pratiquent pendant vingt ans sans jamais évoluer parce qu’elles restent trop concentrées sur leur esprit sans être incarnées. Elles n’ont pas bien compris la relation entre le corps, le souffle et l’esprit et s’attachent à la dimension mentale en négligeant les deux autres. Mais le corps reste la base du travail énergétique.

Ke Wen : Quand on regarde Mme Liu pratiquer, son corps est tellement vivant.

GTao : Comment votre pratique a-t-elle évolué depuis 5 ans ?

Mme Liu : Depuis 10 ans maintenant, j’enseigne un tiers de mon temps en Europe, en France et en Allemagne notamment. Et depuis quelques années j’ai pu remarquer que le niveau de la pratique de Qi Gong avait augmenté et s’était approfondi. Beaucoup de personnes sont déjà initiées à de nombreuses méthodes. Cette progression me pousse à aller plus loin dans ma pratique, notamment au travers des questions qu’ils me posent et leurs interrogations. Ces élèves sont passés au-delà des apparences et de la forme des gestes pour véritablement entrer à l’intérieur et toucher à l’essentiel du Qi Gong : à quoi sert la pratique, un mouvement, ce qu’il apporte. C’est l’évolution d’une pratique corporelle : XIN LIAN, vers une pratique de l’énergie et de la conscience.

GTao : De quelle manière plus précisément avez-vous pu observer cette évolution chez les élèves européens ?

Mme Liu : En Qi Gong, il y a deux manières de pratiquer : dynamique et statique. Au début de l’apprentissage, tout le monde aime le travail dynamique parce que les mouvements sont esthétiques. Il y a quelques années, je voyais les élèves peiner à entrer dans la profondeur de la pratique statique. Elles fournissaient beaucoup d’efforts. Je ne veux pas dire par là que le travail statique est plus important que le travail dynamique. Cette phase est importante pour travailler l’enracinement et de fluidité. Ce sont deux parties essentielles de la pratique qui participent à une évolution, mais certains peuvent ne rester que dans le travail dynamique. Or à un moment donné, l’élève est amené à savoir ce que le mouvement réveille à l’intérieur de lui. Il s’oriente naturellement vers le travail statique.

Imanou : C’est comme s’il y avait une difficulté à passer d’une dynamique “extérieure” à une dynamique “intérieure”.

Mme Liu : Oui, et certains débutants n’y parviennent pas tandis que d’autres ne sont tout simplement pas intéressés. C’est une évolution qui n’est pas imposée par l’enseignement mais qui devient un besoin pour le pratiquant dans le processus de son initiation. En Chine, ce processus est bien connu. Au départ, il est appelé : Zhi Qi Ran : ZHI « connaître » - QI « réalité » - RAN « nature » : « connaître la réalité » , puis il devient : Zhi Qi Sou Yi Ran : ZHI « connaître » - QI « réalité » - SOU YI « cause » - RAN « nature » : « connaître la cause de la réalité », c’est-à-dire que les pratiquants veulent connaître la théorie, la source de création des mouvements et quelles connexions se font dans le corps.

GTao : Les résultats de la pratique du Qi Gong de la femme dont vous êtes l’initiatrice commencent aujourd’hui à se faire connaître. Pouvez-vous nous en parler ?

Mme Liu : Les élèves qui ont commencé à pratiquer il y a maintenant quelques années ont intégré l’ensemble des mouvements et ils connaissent aujourd’hui les trajets des méridiens qui sont parcourus dans les formes et les points essentiels. Le travail en groupe sur plusieurs années a développé leur acuité. Leurs recherches en sont plus éclairées. Aujourd’hui, leur expérience ne leur permet plus seulement d’utiliser la pratique dans leur quotidien pour préserver leur santé, nourrir la vie : YANG SHENG, ils vont au-delà en sachant adapter les mouvements aux symptômes qu’ils rencontrent.

GTao : Le Qi Gong de la femme tel que vous l’enseignez est donc essentiellement thérapeutique.

Mme Liu : Oui, le Qi Gong de la femme est avant tout un Qi gong de la santé, donc dans la prévention et le traitement thérapeutique duquel ressortent deux caractéristiques : la première est une notion essentielle en M.T.C. qui consiste à régulariser globalement le corps, c’est-à-dire à renforcer l’ensemble du système immunitaire (l’équilibre yin-yang, harmoniser tous les organes, etc.), et la deuxième, à bien savoir ce que l’on fait en pratiquant le Qi Gong selon votre état et votre symptôme. Dit autrement, on entretient dans un premier temps la globalité (il existe des formes de Qi Gong adaptées comme “Les 8 pièces de brocart”, puis on travaille dans un deuxième temps les aspects plus spécifiques à la personne. Il faut pouvoir harmoniser ces deux principes pour que la pratique soit efficace. Mais beaucoup de personnes éprouvent des difficultés à cultiver la deuxième partie : comment pratiquer ce qu’elles ressentent, et ce dont elles ont besoin. Le chemin est long, mais petit à petit, on y parvient.

Pol : Peut-on personnifier seul sa pratique ou a-t-on besoin d’un regard extérieur plus avancé ? N’y a-t-il pas le risque dans une pratique solitaire de trop s’écouter, voire de trop aimer certains mouvements, certaines sensations ? Comment trouver la justesse ?

Mme Liu : Tout dépend du niveau et de l’intelligence de cœur de chacun. Cela fait maintenant six ans qu’un groupe de personnes a été formé au Qi Gong de la femme en France. Une partie de leurs stages est aujourd’hui consacrée au partage de leurs expériences personnelles pour eux-mêmes et en tant qu’enseignant. Ainsi certains élèves ont commencé à concocter leur propre “recette” de Qi Gong, sans leur professeur, puisque je suis rarement présente en France. L’une d’entre eux avait de sérieux problèmes gynécologiques et souffrait de frigidité. Elle a pratiqué le Qi Gong de la femme quotidiennement pendant deux ans, et a commencé à ressentir du plaisir et une véritable joie de vivre qui l’a totalement changée.
En fait, si l’élève hésite dans sa pratique, c’est un signe qu’il doit se faire guider. Mais les personnes qui pratiquent depuis vingt ou trente ans et qui ont déjà une vaste expérience énergétique de leur corps, lorsqu’elles apprennent une nouvelle série de mouvements, ont généralement rapidement la perception du trajet de l’énergie induit par le mouvement et savent ce qui est bon pour elles, quel mouvement par exemple est en train de remplir une partie qui est vide.

Pol : Quel est le repère, le critère, qui me fait percevoir que le mouvement est juste ? Une sensation de plaisir ? d’agréabilité ? Ou au contraire, la sensation qu’une zone ne bouge pas, est dure ?

Mme Liu : Le plaisir n’est pas l’objectif de la pratique, mais il est évident que c’est un critère essentiel de circulation de l’énergie. Denis, un élève, nous a témoigné que sa pratique du Qi Gong de la femme avait fait évoluer sa pratique du Tai Ji Quan. En faisant circuler l’énergie dans ses trois dan tian, il a senti qu’une zone était bloquée. Il a donc commencé à pratiquer et à faire tournoyer l’énergie dans son dan tian, par l’intention, en positions, allongée, debout, assise, et il est parvenu à certains moments à faire bouger son dan tian uniquement par la conscience, et à ressentir s’il était vide ou en plénitude. En un an, il a révolutionné sa pratique. Un autre exemple, Chantal, une femme de quarante ans qui a pratiqué de nombreux styles de Qi Gong. La pratique de certains mouvements, notamment les mouvements de la colonne vertébrale, ont réveillé son plaisir et son désir qui ont commencé à remplir tout son être. Depuis, sa pratique du Qi Gong a complètement évolué. C’est une réalité du Qi Gong. A un certain moment de la pratique, le plaisir se réveille et il faut pouvoir le guider.

GTao : Le guider, c’est-à-dire ?

Mme Liu : Une fois que le Qi se met à circuler, comment le garder ? Le transformer ? Pour qu’il ne soit pas évacué, dispersé et faire n’importe quoi avec. Quand Chantal pratique aujourd’hui, l’orgasme arrive spontanément. Mais c’est là où il faut continuer à pratiquer pour transformer concrètement le Qi. C’est ça la vraie recherche.
La première période d’apprentissage est consacrée à la naissance du premier Yang : Yi YANG SHENG. Il est important pendant cette phase d’avoir un très bon professeur. Puis, lorsque l’on parvient au réveil des premières sensations, il faut que l’énergie soit transformée, sinon elle est dispersée. Mais les élèves croient souvent que le premier niveau est suffisant. C’est à ce moment que le professeur doit intervenir intelligemment et voir ce qui est spécifiquement adapté à chacun. L’ajustement est alors personnalisé.

Pol : On pourrait résumer l’apprentissage à un première phase en groupe pendant laquelle l’enseignant transmet des formes de base. En rentrant dans ces formes, l’élève se façonne. Apparaît alors une deuxième phase au cours de laquelle l’énergie se réveille par notamment la libération du plaisir. Commence alors une troisième phase qui devrait voir l’intervention d’un maître pour personnifier la pratique de la personne au risque de ne rien faire de ce trésor.

Mme Liu : Exactement.

Pol : Ce qui nous plaît à Génération Tao dans la pratique de Maître Mme Liu — pour laquelle j’aime utiliser cette dénomination rarement attribuée aux femmes —, c’est cette notion de plaisir orgasmique de la pratique que j’ai rarement vu développée en Chine et en Europe. Cette approche de la pratique est en effet très proche de celle que nous avons développé dans le Wutao et que nous avons appelé : “l’onde orgasmique”, en référence à notre appartenance au courant reichien. Cette onde orgasmique doit être réveillée dans le corps pour qu’elle soit nourricière des autres centres et fonctions du corps. Et ce déploiement, si ce n’est pas le dernier, est le premier pas. Mais dès que l’on touche à cette énergie, on réveille aussi la morale et le tabou liés au plaisir. En Chine, j’ai vu très peu de Qi Gong qui osaient dire ça. Et je suis ravi que ce soit en plus le Qi Gong de la femme qui remette la sensualité et le plaisir au goût du jour.

Mme Liu : Je pense qu’il ne faut pas parler aux débutants de ces sensations, parce qu’ils ne sont souvent pas prêts. Ils doivent simplement se mettre en chemin et pratiquer. A un certain moment de la pratique, cet épanouissement est inévitable. Et à ce moment-là, il est possible d’en parler.

GTao : Sur quelle qualité mettez-vous l’accent dans votre pratique ?

Mme Liu : La pratique dépend beaucoup de Wu. Wu représente toute la quintessence des pratiques chinoises et Wu Xin sentir avec le cœur, chercher avec l’intelligence, c’est sentir la pratique avec le corps, le cœur et l’esprit réunis. Cette notion fait appel à la propre intelligence du cœur de chacun qui a une perception et des sensations particulières pour un même mouvement.
Frédérique est une de mes élèves qui pratique depuis plus de vingt ans. Elle a notamment été formée en M.T.C. Dans le cadre de ses recherches, elle a réuni un groupe de vingt femmes souffrant de symptômes spécifiques dans un atelier de pratique quotidienne (une heure) pendant trois mois — l’efficacité de la pratique est observable sur 100 jours. S’il n’y a pas de résultat passé ce laps de temps, cela ne sert à rien de continuer. —. En appliquant ce qu’elle avait appris dans le Qi Gong de la femme, elle a obtenu des résultats surprenants. Voilà le genre de recherches réalisées aujourd’hui par les élèves et que je trouve formidable. C’était impensable il y a encore quelques années.

Pol : Un homme peut-il enseigner le Qi Gong de la femme ?

Mme Liu : Bien sûr. En Allemagne, j’ai animé un stage auxquels participaient de nombreux médecins, et ce sont eux qui accompagnaient les femmes. Ici en France, il y a quatre hommes qui enseignent le Qi Gong de la femme.

Pol : N’y a-t-il pas le risque pour un homme de devenir une femme ?!

Mme Liu : Un peu de yin, ça fait du bien ! Et plus de la moitié des mouvements sont communs aux hommes et aux femmes : les ondulations de la colonne vertébrale, etc.

Delfe : Comment se déroule l’enseignement du Qi Gong de la femme ?

Ke Wen : La première partie de l’enseignement est composée de 12 mouvements. La deuxième partie est plus profonde. Tous les mouvements enseignés sont des mouvements spiralés

Delfe : Est-ce que vous pouvez nous expliquer l’intérêt du mouvement spiralé ?

Mme Liu : Le mouvement circulaire et spiralé est essentiel dans la pratique du Qi Gong ou du Taiji. Non seulement l’énergie circule de façon spiralée, mais la recherche se situe au-delà, parce qu’il est dit que l’être humain est au fond de lui conçu de cette façon, dans son authenticité. Le mouvement spiralé aide ainsi l’être humain à revenir à sa nature profonde.
Et lorsque l’on arrive au plus haut niveau de pratique, il n’y a pas un seul geste qui ne soit pas spiralé. Lemouvement spontané, la conscience, deviennent totalement libres. L’être humain franchit alors toutes les barrières.

Pol : Ce qui est difficile en tant qu’enseignant est d’amener les élèves à vivre ces mouvements spiralés quand ils sont inexistants chez la personne.

Mme Liu : C’est la relation entre l’esprit inné : SHI SHENG et l’esprit acquis : YUAN SHEN. Proportionnellement, elle est souvent totalement décalée chez les personnes. L’essentiel de la pratique du Qi Gong est de réduire les pré-acquis, ce qui nous encombre trop, comme les émotions, ou les désirs. Il faut donc retrouver l’esprit inné, ce qui est contenu naturellement dans l’être : l’authenticité, la spontanéité, qui renaît avec la circulation de l’énergie. Il faut lui faire la place et le laisser grandir en nous.

Delfe : Dans votre recherche personnelle aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Mme Liu : J’ai parcouru beaucoup de pays, rencontré de nombreuses personnes depuis quelques années. J’ai donné beaucoup de moi-même en enseignant. En même temps, l’échange avec les personnes et leur retour me font à chaque fois dépasser une étape. Cela demande beaucoup de cœur, notamment avec les débutants qui n’ont aucune connaissances, et qui sont de culture différente. On dit du Qi Gong qu’il “sculpte l’âme” (l’énergie subtile du cœur). Et c’est cela qui me réconforte et me fait avancer, de voir l’énergie se réveiller chez eux. On s’aide, on s’apprend réciproquement. Aujourd’hui, ce qui me tient à cœur et que je continue d’expérimenter, c’est vraiment l’âme, le cœur qui communique au-delà. C’est l’envie de donner. Tous ces élèves m’encouragent à être là pour les guider. Et la manière dont les Européens ont développé le Qi Gong m’émeut et m’encourage.
Ces dix dernières années, l’état du Qi Gong en Chine était chaotique tandis qu’un engouement pour la pratique extraordinaire se développait en Europe. Ce mouvement est en train de sauver un trésor de la culture chinoise et de semer des graines. Je me sens responsable, comme missionnée. Et ça me touche de voir que la pratique change tellement de choses dans leur vie et leur esprit.

Ke Wen : Quand tu pratiques, quand tu enseignes le Qi Gong de la femme, tu es obligé d’être dans le plaisir, parce que tu réjouis ton corps. Le père de Mme Liu a touché ce plaisir et c’est notamment pour cette raison qu’il a été emprisonné pendant la révolution culturelle.

Pol : Je crois que le Qi gong de la femme marque un passage, puisque jusqu’alors Chinois et Occidentaux patiquaient le Qi Gong dans un excès de Yang marqué par la volonté : pour guérir, avoir plus d’énergie pour le martial, être plus performant. Or cette volonté est ce qui empêche et freine l’épanouissement. Il fallait quelque chose de plus féminin pour faire passer toutes les pratiques de Qi Gong à autre chose.

Imanou : Je perçois dans le Qi Gong de la femme une essence qui va apporter toute une connaissance, une ouverture nouvelle. C’est sans doute pour cette raison que Mme Liu se sent investie pour déposer les graines, les faire fleurir, mais pour cela il faut que nous soyons des terres fertiles, suffisamment yin pour que nous commencions à bouger, et que d’autres trésors s’épanouissent. C’est cette phase yin dont nous avons besoin.

Ke Wen : La société elle-même a besoin de ça.

Mme Liu : Les femmes ne s’en rendent pas compte, mais c’est à cause de ce manque de yin qu’elles ont beaucoup de problèmes gynécologiques.

Pol : Elles sont dans la bataille, et comme les hommes, dans un excès de yang.

Imanou : Cette notion est importante, parce que les femmes sont obligées de retrouver leur véritable nature. En fait, elles ne savent pas ce qu’elles sont.

Ke Wen : Aujourd’hui, je vois certaines personnes retraitées qui s’ennuient et sont renfermées parce qu’elles n’ont pas suffisamment cultivé leur intériorité. Or dans le relâchement, il y a une renaissance du spontané et du naturel, et c’est cela qu’il faut oser exprimer.

Pol : Pouvez-vous nous dire la différence qui existe entre celui qui se retire pour pratiquer et celui qui pratique pour lui, mais dans la transmission ?

Mme Liu : Ce sont deux philosophies différentes. Dans la première, la personne pratique pour elle-même. Dans la deuxième, la personne pratique pour que tous les êtres s’éveillent. Pour cela il faut développer DE, la vertu, qui est une notion souvent mal comprise. Elle signifie presque « sacrifier » — NDLR : dans le sens de rendre sacré — une partie de soi-même pour éveiller les autres. Si cette vertu de cœur n’est pas développée, il n’est pas possible de s’éveiller. Parce que c’est en éveillant les autres que tu renforces ton cœur, développes ta nature profonde et que tu t’éveilles. Chez certains maîtres, la profondeur de leur Qi Gong se voit dans les formes : GONG, mais DE, ce qui est complètement sans formes, invisible, ce qui est construit à l’intérieur, est inexistant. Le vrai pratiquant de Qi Gong doit cultiver le Gong et le De dans sa pratique : la forme et l’esprit. Et sa conscience alors s’élève forcément très haut.

Pol : Cette vertu est donc ce qui manque à ceux qui se retirent.

Ke Wen : Certains maîtres donnent très peu tandis que d’autres très facilement, la différence vient du fond de leur esprit.

Mme Liu : Il arrive à un moment donné que la vie quotidienne prenne trop d’énergie et que les grands maîtres, les Etres véritables, se retirent après avoir enseigné, comme le moine Hong Yi. Non pas parce qu’ils sont égoïstes, mais à un certain moment, ce qu’ils touchent est incommunicable. Leur corps est devenu un nouveau terrain d’expériences. Tous ces êtres sont rares… Mais il n’empêche que certains ermites se retirent parce qu’ils fuient.